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13 novembre 2014

Dallas, ton univers impitoyable (une nouvelle feuilletonesque en sept mouvements)

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PREMIER MOUVEMENT : SAMEDI

Un trajet nommé Danger

Pas de chaleur. Pas de moiteur. On était à peine arrivés et j’aurais dû me méfier tout de suite. Cette brise légère, là, dans la nuit naissante, qui soufflait négligemment. Cette impression de mouvement perpétuel, comme dans tous les aéroports qui se respectent. Les files de voitures, les bagages qui roulent, qu’on traîne, qu’on porte, qu’on pousse.

Mais je ne me suis pas méfiée tout de suite.

Je voulais que tout se passe bien. Enfin, quand je dis bien, je voulais surtout que ça passe le plus vite possible, que cette semaine s’écoule sans heurt, sans drame. Des sourires, des accolades, des « Je t’aime » reçus en cascade mais vides de sens depuis si longtemps...

Les garçons attendaient sur le trottoir encombré de sacs et de voyageurs arrivés à destination. Ronde des taxis, des bus de voitures de location... On scrutait vaguement à gauche, à droite quand le mini-van s’est garé juste en face de nous. Cassy nous hélait. Craig a enfourné nos bagages dans le coffre tandis que les garçons grimpaient dans l’habitacle du véhicule. Je me suis assise juste derrière Maggie, qui a décroché un vague bonjour stressé avant de démarrer cahin-caha dans la cohue de la file de voitures, la clim’ déchaînée.

D’accord, je le conçois. Je n’étais là que par strict devoir. J’étais venue en marche arrière, à reculons, les yeux bandés, les mains liées, contrainte par une loyauté indéfectible envers mon homme. Je n’avais pas mis les pieds ici depuis sept ans. Pas envie. Du tout. Et voilà que j’y étais, dans ce Texas mal aimé.

Le mini-van prout-proutait plus qu’il ne roulait. Coups de frein saccadés, accélérations hasardeuses. On avançait comme ça dans des rues mal éclairées, en essayant de rejoindre l’autoroute pour se rendre à l’autre aéroport et récupérer la voiture de location. À droite, à gauche. Un demi-tour. Une accélération, un feu qui passe au rouge. « ROUGE ! ROUGE ! ROUGE ! » Nos voix se sont conjuguées, avec Craig, pour que Maggie s’arrête.

Le feu rouge, elle ne l’avait pas vu.

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Elle a réagi à retardement. Le véhicule a stoppé brutalement. J’avais les jambes en compote et les fesses décollées du siège. Je me suis dit que ça ne commençait même pas bien, que ça commençait en fait exactement comme je l’avais craint : dans l’inattention et le stress. Maggie a rigolé nerveusement, ses longs doigts fripés accrochés au volant. Et a continué son bavardage vain comme si de rien n’était. Je ne l’écoutais déjà plus. Sept jours à tenir, me suis-je dit. Sois vaillante, ma fille. Serre les dents. Fais semblant. Je n’avais déjà pas envie d’arriver mais là, je savais que je voulais déjà repartir.

J’ai eu comme un instant de panique irraisonnée en arrivant à l’agence de location de voitures. Il était hors de question que je reste dans l’engin déglingué que conduisait la mère de mon homme. Ma « belle-mère », donc. J’ai préféré suivre Craig et j’ai planté les garçons en croisant très fort les doigts pour qu’il ne leur arrive rien le temps du trajet sur Arlington, destination finale et ô combien redoutée.

Parce que quand même, ma belle-mère est potentiellement un vrai danger public au volant.

La trentaine de minutes de trajet sur Arlington a été comme une respiration supplémentaire avant le grand saut. Craig conduisait dans la nuit claire. On faisait le plein de tranquillité avant le grand plongeon.

Surtout moi.

On a passé de larges avenues sans éclairage digne de ce nom, avant d’enfiler une succession de petites rues tristouilles, arrosées maigrement d’une lumière blafarde. J’avais l’impression de remonter le temps, de me balader dans les années 50. Mais non, c’était juste Lanette Lane, Arlington, Texas. La même maison fatiguée, négligée. Une large bâche pleine de crasse sur le devant du garage, le mini-van garé juste devant. Une poignée d’arbres rabougris, des briques passées par le soleil, un porche encombré, une porte qui ne ferme qu’en la claquant.

Bienvenue chez Maggie, sa vie et son désert.

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